Kaunas-Varsovie, Jour 2

changement de locomotion
changement de locomotion

« Bonjour, je m’appelle Swarick (prononcez surtout pas svarik, mais zcwartzwec, on est en Pologne ici), et je suis un chauffeur polonais. J’ai 32 ans, je porte un bermuda kaki et un marcel bleu, j’ai les cheveux rasés, je mesure 1m70 et je fais du bodybuilding quand je ne conduis pas. Je m’enquille deux pintes de bière à 9h30 du matin en à peine 15 minutes à côté de deux chevelus qui n’ont pas l’air d’être d’ici alors qu’ils prennent leur petit déjeuner. L’un deux, soucieux de découvrir les joies et traditions de mon pays, veut tenter la même chose, mais à la fin de sa première pinte il s’en va régurgiter le contenu de son déjeuner. Il devait y avoir quelque chose de mauvais dans son omelette. (non authentique. Enfin, pour les deux pintes oui, mais on s’est pas risqué à le faire. Assez fous pour s’enquiller 150 bornes par jour, mais pas complètement tout de même.) Dans mon pays, c’est moi qui double les voitures. Qu’il y ait quelqu’un ou pas en face, c’est la même. Je double, point. Il n’a qu’à se ranger. J’ai doublé mes deux partenaires de petit déjeuner, ils étaient en vélo ces grands fadas. J’arrivais à 80km/h, il y avait un terre plein au milieu de la chaussée, et bien je me le suis pris. J’ai bien cru que toutes les roues de la partie gauche de mon camion allaient voler en éclat, quenini ! (authentique !) Ce dernier, mon camion donc, est un Renault réformé d’une entreprise française, il y a marqué « Déménagements Latour » dessus, je ne sais pas ce que ca veut dire mais je ce que je suis fier de mon camion ».

nombreux édifices religieux entre la Lituanie et la Pologne
nombreux édifices religieux entre la Lituanie et la Pologne

Vous l’aurez compris, quelle vulgarisation. Une énorme généralité pour ces chauffeurs polonais qui nous ont accompagné toute la journée, bien que nous avions pris le soin d’emprunter une majeure partie de la journée une route interdite aux poids lourds. (« M’en fous, jsuis d’ici moi, et je passe où je veux avec mon camion »). Les chauffeurs polonais sont respectueux des cyclistes, rien à voir avec ce à quoi nous nous attendions. Par contre, mauvais temps pour ceux qui arrivent en face. Ils passent loin de vous, obligeant les véhicules de l’autre côté à se serrer parfois dangereusement. Et c’est là tout l’art de la conduite polonaise.

Les gens doublent, l’autre a qu’à passer dans le champ. Le pilote à intérêt à avoir un œil sur la route et un autre sur le rétro s’il ne veut pas se faire tailler un short encore plus court que ceux que nous avons déjà. « Heu, Roms. Il y a deux voitures qui arrivent en face. Je fais quoi ? » Pas le temps d’attendre la réponse, je me serre, et puis c’est tout. Non pas que roms ne soit pas vif, mais il a déjà sauté dans le fossé et n’est plus là pour répondre (non authentique). Quitter le navire avant qu’il ne sombre, voilà la clef pour qu’au moins l’un d’entre nous ne passe la frontière en vie.

Rajoutez à cela les chiens, mais pas n’importe lesquels, non non, les chiens polonais. Ils dorment toute la journée, voient des semi-remorques passer par dizaines, et jamais un mot plus haut que l’autre, jamais ils ne bronchent. Mais suffit qu’un tandem passe, avec à son bord deux pyrénéens, et c’est l’assaut ! Un arc de cercle au galop pour se mettre en position de course parallèle à la route, et paré à l’abordage (authentique) ! Concentration optimale du pilote, poste de combat pour le matelot avec la calle décrochée prêt à envoyer dans la truffe de l’animal le coup décisif, accélération…..les chiens ne sont pas très endurants.

Suwalki, ville sortie de nulle-part
Suwalki, ville sortie de nulle-part

Je me mets à la place d’un chien polonais. Je passe ma vie allongé sur le bord d’une route droite, à manger ce que les routiers et voyageurs balancent par la fenetre de leur véhicule. Je mange aussi les froskies polonais, bois l’eau polonaise. Mon maître est un agriculteur polonais, il a quelques vaches, deux chevaux. Peut être que les aboiements et les courses poursuites qu’ils engagent à notre passage sont tout simplement des appels au secours ? Peut être que dans sa course celui-ci dit « Hé, attendez moi, je veux prendre la place sur la remorque ! Moi aussi je veux parcourir les routes, franchir les frontières, mais je ne veux pas le faire dans la benne d’un 38 tonnes, mais bien là, le museau à l’air, le vent glissant sur mes poils ! J’me fais chier ici, laissez moi venir ! » Peut être est-ce nous qui ne comprenons pas. Dans ce cas, il y a d’autres moyens de demander, la gueule laissant échapper un filet de bave qui en dit long sur les intentions. Quelle animosité…

Jojo en intense activité physique
Jojo en intense activité physique

Mais revenons-en à nos moutons. Quelle dure journée ! Nous sommes encore en retard, nous avons trainé, et partons à midi. Du moins, le midi que nous pensions. Car l’heure a changé ici, il est 11h en fait. Les horloges réglées, nous sommes fiers de partir finalement plus tôt que la veille. Le tandem fin prêt, let’s go. Je prends le pilotage. Le postérieur nous fait énormément souffrir à tous les deux, et ce dès les premiers kilomètres. Ce n’est rien, il nous en reste que 130 ! Au bout de 40km, je n’en peux plus. Les courbatures sont toutes revenues. La belle route que nous avions trouvé à la frontière laisse la place à une route droite, toujours droite, mais vallonnée, différence avec les pays baltes. Le vent souffle toujours de côté, ou de ¾, mais moins qu’hier. Il fait beau, et même si à deux reprises nous avons crains que la pluie nous arrose et nous étions mis en configuration « Etanche » (ou plutôt « Semi-Etanche »), nous n’avons pas senti la moindre goutte. Les polonais sont sympas, et loin d’être timides. Les gens sur le côté de la route nous saluent facilement, nous sourient. Les conducteurs nous regardent toujours autant. J’ai peur qu’un jour nous ne provoquions un accident. C’est impressionnant ! Si nous pouvions vous montrer à quel point les gens sont intrigués par notre machine. Il arrive que sur 10 voitures croisées, tous les gens à bords regardent dans notre direction. Des chauffeurs nous prennent en photo à un feu rouge, à un rond-point. Je ne sais pas si c’est l’effet tandem, remorque, jumeaux, ou notre fanion pirate/drapeaux. Peut être est ce la combinaison de tout cela. Ou bien peut être le bronzage ridicule de nos bras quand nos manches sont relevées. Allez savoir.

Augustow, entre lacs, forets et campagnes
Augustow, entre lacs, forets et campagnes

Nous traversons plusieurs villes. La première, Augustov (prononcez Osgeswezwer), est de toute beauté. De nombreux lacs, ponts, au milieu de forêts. La ville est éparpillée, le centre est charmant, on dirait le bord d’un lac dans les montagnes autrichiennes (mais sans les montagnes). On dirait donc le bord d’un lac en Autriche. Vous voyez ? Non ? Tant pis, croyez moi, c’était beau. Des photos doivent trainer, elles appuieront. Parce que roms, malgré ses douleurs, a pris des photos. Nous échangeons la position à un moment, et après quelques kilomètres passés au pilotage, il repasse derrière. Il me donne trois raisons : « Un : Je m’endors. Deux : J’ai très mal au cul. Et trois : Je suis préoccupé. » Les deux dernières raisons sont les mêmes pour moi, mais je reprends la tête car je ne m’endors pas, et je ne pense pas que l’espérance de vie d’un équipage d’un tandem soit très élevée sur des routes si fréquentées quand le pilote dort. (note du correcteur: j'avais surtout envie de gérer la musique...)

on aura quand meme doublé quelqu'un
on aura quand meme doublé quelqu'un

Comme lui a passé la majeure partie de la journée d’hier devant, c’est donc mon tour aujourd’hui. Après 100 km, arrivés à Lomza (prononcez Lomswecswecswec), où on prend une route différente, plus courte et moins fréquentée, pour rejoindre Varsovie. Je n’en peux plus. Mince, j’ai déjà dis ca plus haut non ? En fait le « je n’en peux plus » doit être psychologique, je pensais la même chose il y a 60 km, alors que je continue à pédaler machinalement. Les douleurs sont presque insoutenables. J’entends roms qui souffre en silence ; (note du correcteur: mal au c.., mais bonnes jambes) ou était-ce un bruyant silence ? Pour tenir ? La musique, lire de temps en temps des sms plaisants, penser aux messages d’encouragements, penser aux engagements, à toutes les personnes qui nous ont aidé. Une fois à Varsovie, ce sera plus souple. Une bonne partie de la route est encore devant nous, ce qui veut dire galères, mais surtout tant de belles rencontres, de paysages, de liberté, de découvertes.. Merci à tous de nous permettre ca. Et puis en baver, c’est tellement bon ! D’autres souffrent sans l’avoir choisi. Disons qu’on joint la souffrance à l’agréable. Quoiqu’il en soit, on va le faire, ou soyez surs qu’on fera tout pour rallier Loudenvielle à la seule force de nos mollets.

Encore 35km, alors que la soirée est belle et fraîche et que le coucher de soleil nous rappelle à l’ordre, on finit par stopper.

 

Kaunas-Varsovie, Jour 3

amis cyclos
amis cyclos

La méthode Coué

La méthode Coué, avant d’être le nom d’une émission de télévision dont le nom a été détourné au profit d’un animateur (quel égocentrisme.. remarque, il y avait bien le théâtre de Bouvard), est la méthode de l’auto persuasion. Un exemple ensemble : il paraît qu’il fait chaud dans l’Hexagone. Et bien non, aujourd’hui vous n’avez pas remarqué ? Il y fait bon, il y fait bon, il y fait bon. Vous voyez comme il fait plus frais d’un coup ?

Bon ok, n’importe quoi. Vous allez comprendre. Pour nous, la méthode Coué est notre essence depuis 48h (au fait, on a les droits d’utilisation, pour ceux connaissant le nom de maman…).

Ainsi ce matin : non je n’ai pas dormi 2h. Oui, j’ai bien terminé mon assiette hier soir et mon petit déjeuner ce matin. Oui mon jean tient encore sans ceinture. Oui, il est facile de communiquer avec les gens en anglais ici, par ailleurs polonais pas méfiants du tout à l’égard des deux légumes assis à leur terrasse. Non il ne nous tarde pas d’arriver à Varsovie, et oui, les 130 derniers kilomètres devraient vite passer. Non le pneu arrière n’est pas plus lisse qu’une patinoire. Je crois que la bande bleue maintenant apparente est comme le voyant d’une fiat 500 qui s’allume pour dire « attention, plus d’essence, plus que 50km ». Prions jusqu’à la capitale polonaise, Warszawa, Varsovie pour nous (prononcez Warchavsanieklovitch) ; le pneu a tenu 900 bornes, alors 100 de plus, sérieux… Mais même à l’heure de notre pause-déjeuner en bord de route, sur une terrasse très sympa, nous craignons qu’une poussière qui passe par là au gré du vent ne nous explose notre cher pneu. Allez mon gars, nous aussi on commence à rouiller et à ne plus tenir en place.

sans commentaire...
sans commentaire...

En effet, Kubrick pourrait reprendre sa caméra, et faire la suite ou un remake de Vol au dessus d’un nid de coucous. On est lessivés, on dort mal, on est seuls depuis plusieurs jours, c’est long, c’est chiant. On a le sentiment qu’après Varsovie tout ira beaucoup mieux. Mais pour le moment c’est un peu deux morts-vivants qui se baladent à vélo, qui ne prennent même pas 1/2h pour changer leur putain de pneu. C’est un peu pétage de câble. Math ce matin est un peu énervé, quand on tourne 1/2h dans une ville ou personne n’a l’air de parler anglais, pour trouver une connexion internet. « Hey là regarde ! Internet, wifi, c’est bon, on va choper l’adresse de là où on dort ce soir !! Voir les messages d’encouragement sur le site !» Fermé… Méthode Coué : ce n’est pas fermé, ce n’est pas fermé, ce n’est pas fermé… Merde, je crois que c’est vraiment fermé. Rien donc, on reprend la route, à cran.

La large quatre voies va rapidement se réduire à une deux voies. On mène bon train, les jambes sont (et n’est ce pas là le principal ?) à peu près bonnes. Aux commandes, je me rabats souvent sur la bande d’arrêt d’urgence en plus mauvais état lorsque le trafic est trop important (cf : récit du camionneur polonais), et subit les foudres de mon partenaire. Après un arrêt, ce dernier passe à l’avant, et va finalement en faire de même. Puis mettra sa fatigue dans le bon sens. Il repasse sur la voie principale, gueulant et insultant à peu près tous les véhicules. Il me fait penser au lieutenant Dan au sommet du mât du bateau de Forrest Gump, défiant la tempête. Moi ? Je suis mort de rire, et gueule avec lui. Peu prudent, et merde.

Ici donc, à notre table, Math vient de finir son assiette, il s’est allongé sur le banc avec son mp3. Il faut dire que il y a 10mns il chantait Polnareff, « depuis que je suis loin de toi », moi je continue avec « j’aimerai simplement faire l’amour avec toi », et on poursuit en se marrant avec « vous êtes fatigués, on est pas fatigués !! ». Bref je crois que vous aurez compris. Tout ça redeviendra plus constructif après une bonne nuit si le moral remonte du fond des chaussettes.

Dernière chose : nos excuses envers celle(s) à qui nous avons presque inconsciemment ou dans un état second fait partager un peu de nos longues journées et de notre moral au plus bas…

See you soon

superbe rencontre... Andrei : "kaput hitler"
superbe rencontre... Andrei : "kaput hitler"

                Nous repartons, après une courte sieste. Il fait chaud, 28°, mais heureusement une légère brise maintient nos corps au frais (vous remarquerez que c’est la 1ere fois qu’on parle du vent positivement !). L’arrivée sur Varsovie est rapide. Nous avons tellement hâte que nous faisons du 30 de moyenne les dernières heures. Enfin, un arrêt où il y a internet ! Raté, le web est en maintenance, et les serveuses qui ont compris qu’on a pris un coca juste pour se connecter se foutent de nous. On repart, pas de chance avec le net en Pologne. Pas non plus quand en banlieue de la capitale on s’arrête dans un « Café internet » où il n’y a pas de connexion. ?. Enfin bon..

                La rentrée dans Varsovie est sportive ! On arrive sur une grande 4 voies, qui se transforme en 6. Les voitures sont nombreuses, le périph est quasi bouché, et nous sommes là, serrés sur le côté, maintenant un rythme infernal pour diminuer le risque de se faire accrocher. Nous sommes à 35 km/h, et Roms qui est au pilotage slalome entre les voitures, mais aussi les débris de verre et les bouches d’égout qui jonchent le bord de la chaussée. Deux voies de plus viennent se rajouter par la droite, et nous nous retrouvons au milieu d’immenses files de voitures filant de chaque côté à 90km/h ! En tant que copilote, je me retourne et fais de grands signes des bras pour faire comprendre aux voitures sur la droite de nous laisser nous serrer. Ralentissement général, mécontentement général, nous parvenons sur le côté. A gauche, un grand centre commercial qui nous fait penser un moment que nous sommes déjà à Portet sur Garonne : Ikéa, H&M, Mc Do, Saturn, et j’en passe. Enfin, une piste cyclable en vue, nous décrochons de cette dangereuse portion pour nous retrouver sur une très agréable promenade longeant le Vistule, où sportifs et flâneurs se cachent du soleil qui tape fort en cette fin d’après midi. Nous ne connaissons pas encore l’emplacement de notre contact à Varsovie, et devons encore trouver une connexion. On approche du centre, et un grand bâtiment vitré où nous comprenons qu’il y est inscrit « Bibliothèque » nous permet de nous connecter et voir le tracé que nous avons à accomplir pour rejoindre l’appartement. 9km encore au milieu des tramways et nous arrivons.

Romain & Mathieu Caubin

65510 LOUDENVIELLE

 

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