Passage en Suisse

centre de Konstanz
centre de Konstanz

Ce matin à Constance, le réveil est difficile. On met un moment à émerger. On s’est donné rendez-vous avec Christophe dans le centre, afin d’y manger un morceau avant de prendre la route de Zurich.

 

Le centre de Constance est grandiose. Mais gavé de touristes, comme tout ce genre de villes. Nous sommes impressionnés par le nombre de vélos dans la ville ; il semblerait qu’ici ce soit le mode de déplacement privilégié, et que les cyclos trouvent dans le lac un magnifique terrain pour quelques coups de pédales en famille.

 

Nous avalons un plat de pâtes sur la principale place de la ville, et prenons la route. Quelques tours pour s’y retrouver, et nous nous retrouvons rapidement au poste-frontière, séparant Constance, allemand, de Kreuzlingen, suisse. C’est le premier véritable poste-frontière depuis le début, à savoir que nous y apercevons des agents en uniforme de part et d’autres, opérant des contrôles, car la Suisse est le seul pays traversé n’appartenant pas à l’Union Européenne, en ligne avec sa « légendaire neutralité ».

Suisse'n'bosse ; derrière nous au loin, le lac Constance
Suisse'n'bosse ; derrière nous au loin, le lac Constance

Les suisses ont préparé leur accueil : une longue bosse d’entrée, alors qu’il fait lourd avec ce temps orageux. Un vrai « tacle », comme le dit notre coéquipier du jour. Arrivé en haut, c’est une large vallée qui s’offre à nous. Ce début de Suisse est assez « bucolique », c’est bien la Suisse comme on l’imagine. Campagnes, villages, élevages… Toujours les drapeaux du pays, dans beaucoup de jardins, avec le drapeau du canton. Les suisses, fiers ? Je crois.

 

Quoi qu’il en soit, la journée est tranquille. Nous effectuons environ 80km jusqu’à Zurich. Parfois de longs faux plats montants, passés tranquillement, puis descendant. L’allure est bonne, rythmée par des pauses ravito fréquentes, et par un orage brièvement essuyé.

 

La descente sur Zurich est rapide. Nous débarquons dans la banlieue, et trouvons assez bien notre chemin, suivant les indications destinées aux cyclistes. Débarqués dans la ville, nous nous retrouvons sur ses hauteurs, au niveau de l’université, et atterrissons presque par hasard sur une terrasse offrant un point de vue magnifique sur la ville en cette belle soirée. La fatigue est présente, aussi nous rejoignons l’auberge de jeunesse qu’ici tout le monde a l’air de connaître. Christophe crève sur la route, mais l’équipage pyrénéen ne trouvant pas tout de suite, cela ne l’empêche pas d’arriver avant nous. La ville est belle, c’est déjà ça. Car peu de sourires à se mettre sous la dent ici. Les gens ont l’air assez speeds.

forêts et collines: la Suisse comme on l'imagine
forêts et collines: la Suisse comme on l'imagine

Quand nous arrivons à l’auberge, surprise. Le mec à la réception me montre le prix. 50 francs suisses. Je trouve ça plutôt cher, mais bon. Quand il me précise que c’est le prix par personne… Soit 38 € par personne, pour une auberge de jeunesse. Il semblerait qu’on en ait oublié le principe. Il y a quelque chose à faire de ce côté-là (les rizpâtes…). Dans tous les cas, hors de questions pour nous de mettre ce prix-là. Je comprends le couple d’une cinquantaine d’années avec qui je discute devant, et qui a fini ici car ne pouvant se loger ailleurs à Zurich. Si la Suisse est hors de prix, même pour nous autres français, Zurich est encore l’Everest dans l’Himalaya suisse des prix. Le même couple me raconte qu’ils ont payé 22 € pour deux cafés, un thé et une bière. Une moyenne de 5,5€ la consommation, dans un café du centre ne cassant apparemment pas des briques. Bref, ce premier aperçu de la confédération helvétique nous donne le ton, et de fort belle manière si je puis dire.

 

Nous finissons donc au camping, en bord de lac. Ca n’est pas non plus donné, mais c’est toujours mieux que l’auberge. Christophe, qui lui avait réservé sa place à l’auberge avant notre arrivée, nous rejoint. Nous partageons encore une bière ensemble, et discutons un moment. Il nous parle de ses années outre-Atlantique, en particulier de son ressenti des Etats du Sud marqués par les années de ségrégation, et du poids social de la musique, à travers les Eglises. Ses expériences de jeunesse font rêver. C’est un mec bien, sympa, hyper attentif à tous les détails lorsqu’il traverse un pays, une région. De plus, je trouve sa vision des choses très lucide. Nous discutons politique, société, comparons les pays, les mentalités qu’on y a ressenties. On sent bien que nous ne lui arrivons pas à la cheville dans le domaine de l’expérience du voyageur. Il reste néanmoins surpris de notre trajet et notre voyage. Les voyages forment la jeunesse ! Une super rencontre d’un « sillonneur de routes ». Il reprend le chemin de l’auberge, après un bout de baguette, fromage et jambon partagés. Quant à nous, nous ne veillons pas, en ce bord de lac de Zurich. Demain nous rejoignons la capitale, Berne. Aujourd’hui, l’entrée en Suisse n’a pas été à la hauteur de nos espérances.

 

En attendant, see you

On fait trempette, Zurich-Berne

maison suisse, avec drapeau du canton et du pays
maison suisse, avec drapeau du canton et du pays

Aujourd’hui nous rallierons Berne. Le matin, en déjeunant à une table du camping de Zurich, j’étudie un peu la carte. J’établis deux itinéraires possibles jusqu’à la capitale de la confédération helvétique. Un passe plus au nord, et longe les rivières, il est sans doute plus plat.

 

Nous nous lançons donc sur la route à presque midi. La sortie de Zurich est un modèle de navigation à l’instinct. Ce début de journée est aussi un modèle de longue journée. Math a très mal à une zone que nous ne citerons plus. Les jambes nous tirent à tous deux. J’ai mal dormi, et je crois qu’on est deux à avoir mal au dos. Mais surtout, il tombe des cordes. De belles cordes, celles qui mouillent et font froisser le visage. Mais peu importe. J’aime ces moments. Je me sens guerrier, alors que la pluie tombe drue, que les voitures ont les phares allumés, que je pilote, qu’on roule à bloc.

 

On suit d’abord la direction de Bâle, vers le nord-ouest. Après une pause remplissage-de-bide à Baden, dans une pizzeria de standing apparemment où les deux tunisiens nous ont remis le moral et ont halluciné sur notre aventure, un panneau indique Berne à 100km au sud-ouest. Mais la route que nous empruntons recoupe fréquemment l’autoroute, et le panneau indique le kilométrage par cette dernière. Ainsi, si nous sommes plutôt heureux lorsqu’on aperçoit « Berne : 67km », nous sommes un peu déçus lorsque plus loin c’est un « Berne : 77km » qui nous plombe les jambes. Mais peu importe.

paysages & ciel menaçant
paysages & ciel menaçant

La pluie s’arrête. Si la visibilité jusqu’à maintenant n’était pas terrible, nous n’avons quand même par raté grand chose. Tout le long de la route, des usines, toujours de pointe certes, mais énormément de locaux d’entreprises sans intérêt. Tout le long, une voie ferrée, et un défilé de train. Tout ça au milieu d’une large vallée où nous apercevons parfois les charmes de la nation helvétique, avec ses villages perchés, ses campagnes, ses vallons.

 

Heureusement, il y a les 50 derniers kilomètres. La route devient beaucoup plus tranquille. Et on part dans un délire, comme à peu près tous les jours. Je me lève de la selle arrière, et me met à chanter le poing levé, dans un véritable pétage de câble, vite rejoint par mon coéquipier. La ballade nord-irlandaise et autres classiques de Renaud, Le chant des partisans, des chants pyrénéens. Bref vous voyez le genre.

un cloché suisse. si si
un cloché suisse. si si

De plus, la route ici est belle. De tous les côtés se dressent maintenant de véritables montagnes, comme celles qu’on connaît, en plus abruptes. La campagne est belle, loin d’être morte. C’est comme ça que nous arrivons à Berne. Nous sommes surpris par la rapide entrée en ville, sans banlieue pratiquement. Au bout d’une piste cyclable, nous atterrissons dans le centre de la capitale. De beaux bâtiments, nous faisons un tour et demandons le chemin d’une auberge. Magnifique centre-ville, coincé entre des montagnes, et deux larges rivières.

C’est à 9h que nous stoppons après environ 150km à l’auberge de jeunesse, pas beaucoup meilleur marché que celle de Zurich. Décidément, la Suisse nous laissera à coup sûr l’image d’un assassinat budgétaire, et d’un pays où tout se monnaie. « Si tu n’obtiens pas les choses avec de l’argent, tu les obtiendras avec beaucoup d’argent ».

militaires suisses, et petite blague à la belge: "Vous avez pas une roue par hasard ?"...
militaires suisses, et petite blague à la belge: "Vous avez pas une roue par hasard ?"...

Mais laissez-moi m’attarder sur le moment posé du soir, à l’extérieur de l’auberge (après tout, si j’en ai envie, mais promis, je ne m’attarde pas). C’est un de ces moments de fatigue, de bien-être, où la musique prend aux tripes. J’allume mon mp3. L’intro de When the music’s over des Doors. Toujours le même chef d’œuvre. L’intro au clavier, moment où vous restez appuyé sur le bouton du son, frustré de ne pouvoir plus vous démonter les tympans. Le batteur effleure ses instruments, le bassiste pareil. Et rapidement, le clavier s’emballe, la batterie est matraquée, Jim Morrison gueule. Et là, vous serrez les dents, putain que c’est bon, ces frissons et ce son. Le solo guitare un peu plus tard est un bon test d’humeur. Soit il casse la tête, soit il est monumental. Ce soir, il est bien sûr monumental. Merde, je dois pas être très bien. Enfin, merci aux Doors, et peu importe ce qu’ils avaient dans le nez pour écrire ça, et le reste. Derrière enchaîne La Grange de ZZ Top. C’est bon ça aussi. L’intro passée, je me dis que finalement j’aime pas trop le reste du best of de ce groupe, un peu rock tout public pour moi. Merde, je viens de disserter sur les Doors et Morrison, une des tronches les plus vues sur des t-shirts dans le monde. J’aime tous les grands groupes, les monuments, les Stones & cie. Contradiction, peu importe. Et clou de ma soirée juke-box. Bashung. Parfois quand je l’écoute, depuis que j’y suis un peu rentré dedans (merci Tony), post-sa-mort, j’ai l’impression qu’il fume une clope assis devant moi et qu’il me parle. Un peu comme Jeanne d’Arc avec Dieu. Là c’est la chanson Venus, de son dernier album torturo-poétique, fascinant. J’y comprends pas grand-chose, mais là aussi je m’en fous, c’est bon.

 

Bref tout ça pour dire… Ben, je sais pas trop. La musique c’est terriblement bon peut-être. Non, trop banal comme phrase. Charge à ceux qui connaissent ces moments d’en retrouver ici une esquisse.

 

En attendant, see you

Léman Brothers

rues de Fribourg
rues de Fribourg

A Berne ce matin, il pleut. Fort. Vu les prix pratiqués en Suisse, on profite du petit déj’ à volonté à l’auberge de jeunesse pour se remplir le ventre comme il se doit. On traîne un peu avant de partir, voyant le temps s’améliorer, et « subissons » les foudres des employés de l’auberge. Enfin ça ne nous a pas trop boostés. Je vous le dis, de vrais pirates.

 

Quand on démarre, aux alentours de 11h30, c’est en direction de Lausanne. Nous devons rallier le lac Léman, à Lausanne, capitale olympique. Un couple de suisses francophones rencontré à Zurich nous a conseillé de prendre par Fribourg. Ainsi nous en prenons la direction. Là, ça monte. Passages de vallées en vallées, et si la sortie de Berne ne présente pas grand intérêt, très vite nous retrouvons les charmes de la Suisse, au milieu des montagnes que l’on devine à travers les derniers nuages.

né Suisse ami cyclo? c'est pas si grave...
né Suisse ami cyclo? c'est pas si grave...

L’arrivée à Fribourg confirme les dires du couple. Ville au cœur de vallées, superbe centre, petit, médiéval. Ces rues pavées arpentées sont les débuts de la Suisse francophone. D’ailleurs, je suis surpris de ce changement somme toute assez brutal, je veux dire le passage de la Suisse germanophone à la Suisse francophone. En un kilomètre, les panneaux changent, les insignes de police aussi, mais également les suisses eux-mêmes. Si il n’est pas question de tirer des préjugés, les gens ici ont l’air plus détendus, plus souriants, que dans une ville comme Zurich par exemple. Sans doute le poids de la finance, en face de la campagne. Aucun rapport, je l’admets.

 

Après Fribourg, nous gardons les petites routes en direction de Lausanne. Et qui dit petites routes dit belles montées. Au passage près d’un golf, Mathieu a la sensation d’accomplir un geste presque révolutionnaire en y ramassant deux balles (c’est gift). Nous empruntons des routes en travaux, ignorant toujours les déviations. Les ouvriers nous ouvrent le passage, et nous nous retrouvons dans une grande vallée, à longer la nationale qui doit nous mener sur les bords du lac Léman.

rues de Lausanne et lac Léman
rues de Lausanne et lac Léman

Grands délires, toujours, en particulier envers les suisses que nous caricaturons, exagérant leurs accents, et les associant à l’image des blagues belges. Ils se vengent en nous proposant encore et encore de longues côtes. A l’approche de Lausanne, un col s’offre à nous, de pente moyenne de 5% peut-être et d’environ 4-5km. Nous montons vite, il fait assez lourd en ce début de soirée. Et arrivés en haut, le lac est en vue. C’est fantastique. On aperçoit bien l’autre côté, les montagnes à pic, les villes françaises. Extraordinaire. D’autant plus extraordinaire qu’il nous reste 10km de descente. Héhé. On fait la course avec des motards (prochainement la vidéo). Finalement, nous arrivons comme une fleur dans le centre de Lausanne, superbe. Lausanne, ça fait un peu Côte d’Azur, en plus classe, et plus détendu. Les épisodes à venir de la soirée sont mémorables.

 

D’abord, nous nous approchons du McDo du centre afin d’y capter internet et trouver ainsi l’adresse d’une auberge ou d’un camping aux abords de la ville. En pleine rue pavée, bondée, l’équipage pyrénéen attire comme toujours l’attention. Et, nous en sommes heureux à présent, il attire l’attention d’un homme d’environ 65 ans je dirais, qui nous propose son aide. Le chemin du camping est déjà dans notre tête, il suffit de descendre le long du lac et de le longer 1km. Il n’y a pas vraiment de feintes. Et voilà que l’homme se met à nous expliquer. Je vous jure, ça a bien dû durer 45mns. Il a bien dû expliquer la chose 30 fois, y ajoutant toujours un détail, un passage piéton, un hôtel sur la droite, un pont sur la gauche, un panneau au dessus, une bouche d’égout à éviter… Je suis à l’avant du vélo, Math à côté. Après environ 10mns d’explication, l’homme se retourne un peu vers mon copilote, si bien qu’il me tourne presque le dos. Je plonge la tête dans le guidon, et explose de rire. Je tape des poings sur la machine, des pieds par terre, un peu honteux, mais mon plus beau fou rire est lancé. Pas longtemps après, Math, que je m’efforce de ne pas regarder pour éviter la contagion, explose à son tour, devant l’homme. Explosion commune. Le plus extraordinaire, c’est que l’homme continue, pas perturbé. Bref, ça dure. Le couple qui avale des hamburgers à côté est contaminé. Quand l’homme s’éloigne, nous sommes pliés. Et il revient. Personnellement, à ce moment, je cherche les caméras, croyant à un sketch. Mais non, et il reprend son explication. Math ne l’écoute plus, moi j’essaie de me concentrer, mais apercevant le couple à côté, je ré-explose. Bref, grand moment. Le couple nous remercie pour le spectacle.

après un pneu explosé...
après un pneu explosé...

Quant à nous, nous prenons le chemin que nous connaissons à présent par cœur. 20 mètres, un bruit étrange sur la machine, et bam !  Explosion. Du pneu cette fois. Un véritable coup de feu qui a mis la panique dans toute la rue piétonne. Le pneu a sans doute fondu dans la longue et rapide descente. Génial. Nous voilà installés à un atelier réparation. Mais avec vue sur le lac, on relativise. Enfin on est assez contents malgré tout. On change tout ça, et au moment de regonfler, la chambre à air de la même marque que celle qui nous a déjà fait le coup oublie un bout de la valve dans la pompe, alors que nous avons à peine gonflé. Bref, c’est à pied que nous rejoignons le camping à 2km de là, de bonne humeur malgré tout. Il faut dire que le cadre est assez incroyable.

 

Campement installé en 8mn montre en main, il semblerait qu’on commence à avoir l’habitude. Nous allons au restaurant local, bien mérité, dans ce camping en bord de lac pratiquement mais surtout collé au siège du CIO, le Comité International Olympique. Personnellement, pour le passionné de sport que je suis, ça me fait quelque chose d’être à Lausanne. Bref, le restau, on commande de la bière, et je crois qu’il ne s’est pas passé 5mns sans que nous explosions de rire ; il faut le dire, nous sommes bien aidés par la table à côté. Un topo rapide.

!!!
!!!

Un couple, environ 18 ans. Le mec le plus lourdingue au monde. En fermant les yeux on jurerait qu’il a 8 ans ½. La fille la plus pimbeche, en admiration devant les blagues de son « homme ». En face, la mère du jeune homme, aussi cruche que la « belle-fille », et sans doute admirative devant l’attention portée par son fils à sa copine. Et le clou du spectacle, le père. Je vous jure, sur sa tête de type blasé, il y a écrit : « 18 ans d’éducation foutues en l’air, là, devant mes yeux, autour de la table du restau de ce foutu camping. » Et pour nous, je vous jure aussi, quelle rigolade.

 

Super soirée, mémorable, dans la capitale olympique. Et super sommeil. Demain, nous devons réparer. Et ensuite prendre la route d’Annecy, en longeant le lac et traversant Genève. Nos fringues mal séchées ont contaminé tout le sac. Le cambouis sur les mains et les mollets a du mal à partir. Les jambes tirent autant que la Suisse sur le porte-monnaie. Et notre ami Karl nous attend à Annecy, encore en bord de lac. C’est trop tentant.

 

En attendant, see you

Romain & Mathieu Caubin

65510 LOUDENVIELLE

 

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